Claude Kordon nous a quitté prématurément et je voudrais d’abord exprimer ma peine personnelle devant la disparition d’un collègue et ami avec qui je partageais beaucoup de souvenirs et un même intérêt passionné pour la recherche en Neuroendocrinologie. Je tiens aussi à exprimer ma profonde compassion à l’égard de sa femme et ses enfants pour le long calvaire qu’ils ont vécu avec lui au cours de ses derniers mois.
Parmi les anciens du laboratoire de Jacques BENOIT qui ont été les témoins et acteurs de la naissance de la Société de Neuroendocrinologie en France, je reste malheureusement la seule capable d’évoquer la mémoire du passé et la personnalité si riche et originale de Claude Kordon tel qu’il était à son arrivée au Collège de France en 1954.
Jacques Benoit avait été nommé à la Chaire d’Histophysiologie du Collège de France en 1952 pour ses travaux pionniers de Neuroendocrinologie et est arrivé accompagné de son assistant Ivan Assenmacher dont nous déplorons tous l’absence ici. Claude Kordon a été accueilli sur la recommandation de Kitty Ponse, professeur d’Endocrinologie à Genève et dont il avait été l’élève. A cette époque le laboratoire Benoit était réparti en deux territoires : la station physiologique du Collège de France, à Auteuil, voisin de l’Institut Marey dirigé par Alfred Fessard, en bordure du stade Roland Garros qui les a phagocytés ensuite. Claude Kordon a été accueilli à Auteuil où se trouvait également Ivan Assenmacher avec qui il a lié des liens d’amitiés indéfectibles et initié ses recherches sur la physiologie du contrôle hypothalamique de la fonction gonadotrope. A Paris au Collège de France où j’ai été accueillie à peu près en même temps, j’étais en compagnie de deux femmes chercheurs éminentes, Cécile Mialhe, disparue prématurément, et Anna Kagan-Moschoswka, décédée récemment. Nous nous retrouvions tous chaque semaine pour le cours du patron suivi du thé traditionnel. C’est ainsi que j’ai fait la connaissance de ce jeune homme sympathique, dynamique et chaleureux. Après le départ de Ivan Assenmacher à Montpellier en 1959, Claude Kordon est devenu un proche collaborateur efficace de J. Benoit, jusqu’à son départ pour l’Unité INSERM.
Il appartient ici à ses élèves d’évoquer la suite de ses recherches qui se sont déroulées indépendamment des miennes. Je voudrais pour ma part évoquer sa personnalité, telle que je l’ai perçue et quelques aspects de son activité multiple de chercheur et d’homme de communication.
Je tenterais de résumer par quelques mots les aspects les plus remarquables de sa personnalité : dynamique, chaleureux, généreux et mondialiste avant la lettre, aidé en cela par sa pratique courante des quatre langues majeures du monde occidental. Claude Kordon a manifesté très tôt le souci d’intégrer la recherche dans un système social et politique (au sens noble de ce terme). Je crois que cela a été, avec la passion de la recherche, une motivation majeure de son activité tout au long de sa carrière. De nombreux exemples de cette attitude généreuse et féconde pour les progrès de la science seront cités ce matin. J’en retiendrai trois
1° la fondation de la Société de Neuroendocrinologie Expérimentale, qui fut la première société pour cette nouvelle discipline, au plan mondial et qui a certainement été et est toujours un moteur de recherche puissant dans notre pays. Dans cette opération, Claude Kordon a joué un rôle primordial auprès de Jacques Benoit. Dans un premier temps la création du Comité National de Coordination pour la Neuroendocrinologie des Vertébrés a permis de réunir au cours de deux colloques informels des partenaires potentiels. Puis dans une lettre circulaire du 14 avril 1970, J. Benoit a annoncé la création d’une société loi de 1901et proposé aux partenaires contactés d’adhérer. La lettre était également signée par les membres du bureau provisoire : MM. Dell, Jutisz, Kordon, Soulairac et Stutinsky. Claude Kordon était de loin le plus jeune des cinq (36ans). Par la suite il a été lui même Président de cette Société. Sa volonté d’ouvrir la recherche française hors des frontières s’est elle aussi exprimée très vite par l’initiative de rencontres franco-allemandes de neuroendocrinologie, informelles et enrichissantes.
2°Son activité au sein du Comité National du CNRS
Après avoir été Sous Directeur au Collège de France, Claude Kordon a été recruté au CNRS comme maître de recherche puis membre élu (syndicat SNCS) de la Commission de Biologie Cellulaire du CNRS dont il fut ensuite président élu de 1974 à 1978. Dans ces fonctions, son sens vif de la démocratie l’a conduit à introduire un progrès certain et irréversible dans le fonctionnement des commissions, fonctionnement dont on peut dire qu’il a été longtemps dominé par un certain mandarinat et un huis clos officiel des débats, Claude Kordon a crée un Comité de liaison réunissant des chercheurs et des membres élus syndiqués de la Commission, permettant ainsi des échanges d’informations. Cette visibilité des débats a été par la suite institutionnalisée pour l’ensemble des commissions du CNRS, tout en en respectant l’anonymat. En outre, il a demandé aux membres élus de la Commission de s’abstenir d’être candidat à une promotion. Il s’est appliqué cette règle à lui même puisqu’il n’a présenté sa candidature DRI que par la suite, alors que j’étais présidente de la Commission des Interactions Cellulaires.
3°Ecrivain
Je voudrais citer un dernier aspect de l’esprit d’entreprise de Claude Kordon. Il s’agit de l’initiative d’une collection de livres de Biologie sur la Communication Cellulaire, lancée en 1997 par les Editions Economica, et qu’il a patronnée à l’origine avec Hubert Clauser. L’objectif de cette collection se situe clairement dans l’objectif de Claude Kordon d’intégrer la recherche dans la Société. Il s’agit d’offrir en français des synthèses à jour de sujets novateurs et féconds en biologie cellulaire, mettant à la disposition des non spécialistes les avancées dans ce domaine et les problématiques émergentes. C’est un challenge difficile que je me sens obligée de poursuivre puisqu’il m’a transmis cette tâche il y a quelques années.
Pour terminer vous me pardonnerez une réflexion inspirée par sa fin douloureuse et mon âge avancé :
Nous savons tous, et les Biologistes l’acceptent, je crois plus que d’autres, que notre destinée s’achève dans la poussière. Que reste-t-il après nous? Nos travaux, ce qui est un privilège que nous partageons avec les artistes. Mais surtout la trace que nous laissons dans la mémoire de nos proches, notre famille nos amis. Là est la survie à laquelle nous aspirons tous. Pour Claude Kordon cette survie est pleinement assurée dans le cœur de sa femme, sa fille, son fils, ses petits enfants et ses nombreux amis.
Andrée Tixer-Vidal